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05.07.2021, 12:49 | |
1964.11.21
Mère a l’air lasse. Elle tient les paumes de ses mains sur ses yeux. ...Ils m'abrutissent de choses matérielles, mécaniques, à faire, et comme ils sont tous pressés et mal organisés, ils arrivent à la dernière minute et il faut que ce soit fait «tout de suite». Tout ça pour t'expliquer que je suis complètement abrutie. Si tu veux, nous pouvons traduire, parce que c'est toi qui travailles, pas moi! Mais est-ce que tu as quelque chose à dire?... Si tu as, tu dis. Oh! il y a toujours des choses à dire, mais... Ah! alors, dis. Ce sont des choses personnelles. Oui, c'est bien, dis. Je ne comprends pas très bien ma position, maintenant J'ai l’impression que mon existence est devenue mince, mince, de plus en plus mince – ça s'est aminci et il ne reste presque plus rien. Ah! très bien. Sauf des mécanismes, il n'y a rien. C'est bien, c'est un très bon signe, ça veut dire que tu es en train de te libérer de ton ego. Mais si encore, dans cette nullité, il y avait des expériences... Écoute, c'était hier ou avant-hier (enfin après t'avoir vu la dernière fois), toute une journée j'ai eu exactement la sensation que tu viens de dire. Je me suis tout d'un coup souvenue de sensations ou d'impressions ou d'expériences que j'avais eues quand j'étais ici ou là, en France, au Japon, et alors j'ai eu cette impression... oui, d'un amincissement, d'une réduction au point de l’inexistence. Oui, exactement. Absolument une inexistence. Et je me suis dit: «Mais où est cette personne que j'appelais moi?... Où est-elle, qu'est-ce qu'elle fait?» – C'était évaporé (Mère souffle entre ses doigts), tout à fait évaporé. Oh! comme j'ai ri, mon petit! comme je me suis amusée! Pendant une demi-heure, je riais au-dedans. Je me suis dit: «Eh bien, c'est réussi!» Et alors, j'ai regardé ce pauvre corps et j'ai pensé: «Si ça aussi pouvait se changer en quelque chose d'autre, ce serait magnifique!» (Regardant le disciple du coin de l’œil) C'est très bien – c'est très bien, c'est un signe certain que l’on est sorti de son ego. Oui, mais dans cette inexistence, il ne reste plus que des choses alors sans intérêt: le corps, les mécanismes. Parce qu'il reste ça. Mais comment faire?... C'est ce que je te dis, l’impression était qu'il ne restait que ce qui concerne directement ça. Eh bien, oui! C'est-à-dire rien, c'est pour ainsi dire zéro. Alors le problème est venu: «Comment ÇA peut changer?» Évidemment, j'ai eu la réponse... J'ai un calendrier avec des citations de Sri Aurobindo, et j'ai eu la réponse le soir. Je ne me souviens plus des mots, mais il disait: «l’Esprit changera aussi ce corps humain en une réalité divine.» C'était la réponse; il disait: L’ESPRIT. Je me suis dit: «Évidemment, mais comment est-ce que ÇA peut être transformé?...» Voilà le problème. Et la réponse est toujours la même: ça ne PEUT PAS dépendre de notre effort. Naturellement, il est bien entendu que nous devons nous rendre aussi plastiques et d'aussi bonne volonté que possible (je parle du corps), mais ça ne PEUT PASdépendre de lui, il n'a pas la connaissance et il n'a pas le pouvoir; par conséquent, ça ne peut dépendre que de la Volonté divine. C'est exactement cela. C'était l’expérience de ces jours-ci. Mais on a l’impression que même l’aspiration... Je ne peux pas dire qu'elle disparaisse dans cette inexistence, mais il n'y a rien, il n'y a presque plus rien. Mon petit, c'est parce que ce que tu appelles «aspiration», c'est un mouvement de ta conscience psychique, formulé mentalement et soutenu par le vital – mais ce n'est PAS TON CORPS. Et c'est seulement si tu es très attentif à la vibration des cellules, si tu es habitué à les observer et à les sentir, que tu peux voir. Moi, je ne sais pas, mais je ne peux pas me plaindre des cellules de mon corps... Tu sais, ce n'est pas une perception, ce n'est pas une sensation, c'est... c'est une FOI VÉCUEde l’existence unique du Suprême – n'est-ce pas, que c'est la seule Réalité et la seule Existence. Rien que ça, c'est comme si tout se gonflait, toutes ces cellules se gonflaient d'une joie!... Seulement, ça ne prend pas la forme d'un sentiment, même pas d'une sensation, et encore moins d'une pensée; alors si l’on n'est pas très attentif, on ne s'en aperçoit pas. Mais par exemple, quand je répète le mantra, c'est une répétition faite par ce fameux mental du physique qui est si imbécile (c'est la seule chose qui le maîtrise), et maintenant il est tellement identifié qu'il ne vit que ça, c'est comme une pulsation de son être; mais alors quand j'arrive à l’invocation (il y a une suite d'invocations: chacune a son effet sur le corps), quand j'en viens à: «Manifeste Ton Amour», je vois comme un scintillement d'une lumière dorée, qui représente une joie intense dans toutes les cellules. Ce n'est pas facile à observer, il faut être très-très-très détaché du mouvement de la pensée, autrement on ne s'en aperçoit pas. Mais si l’on voit ça, on voit que même ces cellules sont là à attendre la Chose. Je ne crois pas que l’on puisse espérer beaucoup plus d'elles, sauf, peut-être, de se débarrasser petit à petit de mauvaises habitudes, de fausses vibrations (qui sont naturellement la cause de ce que nous appelons des «maladies»). Mais on peut dire, vu d'un point de vue extérieur, que nous avons une tâche assez ingrate!... La gloire viendra après, mais est-ce que ces corps-là la verront? Je ne sais pas. Il y a une si immense, formidable différence entre ce qui doit être et ce qui est. Ce sont de pauvres choses, n'est-ce pas, il n'y a pas à dire, ce sont de pauvres choses. On peut, avec l’imagination populaire et le goût du merveilleux et toutes les légendes, on peut dire: «Oui, une transformation subite», mais, mais, mais... ce sont des mots. (silence) Je me souviens d'avoir écrit quelque part, il y a de cela une dizaine d'années, que je le prendrai comme un signe si mon dos se redressait. À ce moment-là, ce n'était pas beaucoup, mais ça me dégoûtait profondément, et je l’avais fait comme un challenge [défi]. Naturellement, c'est très loin maintenant de ma conscience et de ma pensée, ça me paraît un enfantillage, mais je me suis souvenue de cela justement ces jours-ci, et je me suis dit que maintenant cela m'était tout à fait indifférent, parce que ce n'est rien pour moi! Tout le reste... tout le reste est aussi insuffisant, incomplet et misérable, n'est-ce pas, misérable. Si l’on pense à une vie divine, c'est misérable. Et c'est curieux, tout vient et se présente comme des images et des possibilités; alors je me dis: «Mais si, après un certain temps, tout ça va tout d'un coup cesser de fonctionner, à quoi aura servi de faire tout ce travail?» Et toujours, il y a quelque chose – quelque chose qui vient d'une région très absolue – qui fait sentir ou comprendre ou saisir l’inutilité de la mort. Pourquoi me fait-on sentir comme cela l’inutilité de la mort?... Dieu sait! jamais, pas une minute dans ma vie, même au moment où les choses étaient les plus sombres, les plus noires, les plus négatives, les plus douloureuses, pas une fois n'est venu: «J'aimerais mourir.» Et depuis que j'ai eu l’expérience de l’immortalité psychique, de la conscience, c'est-à-dire en 1902 ou trois, ou quatre au plus tard (il y a de cela soixante ans), toute crainte de la mort était partie. Les cellules du corps ont maintenant le sens de leur immortalité. Il y a eu un temps aussi où j'avais presque comme une curiosité de la mort; elle a été satisfaite dans mes deux expériences où, selon l’illusion extérieure, mon corps était mort alors que, au-dedans, j'avais une vie d'une intensité merveilleuse (la première fois, c'était dans le vital, et l’autre fois tout en haut). Si bien que même cette curiosité-là (je ne peux pas appeler ça «curiosité»), cette question ne se pose plus dans les cellules. Seulement, la possibilité se présente: selon la logique extérieure ordinaire, si ça ne se transforme pas, ça doit nécessairement finir. Et toujours, toujours, je reçois la même réponse, qui n'est pas une réponse de mots, qui est une réponse d'une connaissance (comment dire?...) d'une connaissance de FAIT: «Ce n'est pas une solution.» Pour dire les choses d'une façon tout à fait banale, c'est la réponse: «Ce n'est pas une solution.» Par conséquent, on est à la recherche d'une autre solution, puisque la mort n'est pas considérée comme une solution. Et il est évident que ce n'est pas une solution. Non, c'est un échec. Non, cela peut ne pas être un échec si c'est la Volonté du Seigneur. Ce n'est plus la nôtre. Ce n'est pas que nous fichons le camp, n'est-ce pas: c'est Lui qui décide que c'est fini. Alors la réponse vient (ce n'est pas de moi, ça vient de très loin et c'est très ABSOLU comme vibration): «Ce n'est PAS une solution.» Ça veut dire que ce n'est pas considéré, dans le cas présent, comme la solution. Il doit y en avoir une autre. Oui, sûrement. Notre imagination est très pauvre. Pour moi, je ne peux pas imaginer comment ça peut se passer! Je peux imaginer des romans, ce que j'appelle le roman-feuilleton de la vie spirituelle, mais ce n'est rien, ce sont des enfantillages. (silence) Ce que j'avais noté, c'était bien ceci: «Si mon dos se redresse, je comprendrai qu'il y a quelque chose qui est plus fort que l’habitude matérielle.» Maintenant, il y a bien d'autres choses que mon dos à redresser! La vie, au point de vue extérieur, superficiel – très superficiel –, au point de vue des apparences, la vie de ce corps est très-très précaire, en ce sens que les activités sont très limitées – très limitées –, et malgré cela, souvent j'ai l’impression que le besoin naturel (c'est un besoin naturel) de silence et d'immobilité contemplative (les cellules ont cela: le besoin d'une immobilité contemplative), ce besoin est contredit par les circonstances. Alors, vu du dehors, c'est une infirmité; c'est-à-dire que les êtres humains ordinaires avec la pensée ordinaire diraient: «Elle se fatigue facilement, elle ne peut plus rien faire, elle...» – Ce n'est pas vrai, c'est une apparence. Mais ce qui est vrai, c'est que l’Harmonie n'est pas établie, il y a encore une différence entre la sensation du corps et cette espèce de... exhilaration... c'est comme une gloire intérieure. (silence) C'est encore un état où les choses ne sont pas adaptées, un manque d'adaptation, et aussi ce qui paraît être, peut-être, une incapacité de manifestation (?). Et pourtant, le corps n'a pas le sentiment, la sensation de ne pas pouvoir faire ce qu'il veut faire – jamais; le pouvoir de faire est resté, mais la volonté de faire n'est pas là. Et ce qui donne encore cette espèce de malaise (un malaise qui est physiquement pénible), c'est la friction entre son mouvement spontané et ce qui vient du dehors: l’imposition des volontés extérieures. C'est l’acuité de ce malaise qui augmente. Il est vrai qu'une seconde d'isolement (pas physique), de rupture de contact (avec les autres), suffit à remettre l’Harmonie; mais autrement, si l’on ne prend pas soin de s'isoler au-dedans, ça produit une sorte de désorganisation. Et le corps ne prend plus plaisir à aucune des choses qui sont d'habitude agréables au corps: ça lui est tout à fait indifférent. Mais lentement, quelque chose, ou quelqu'un, lui apprend à avoir non du plaisir et rien qui ressemble (même de très près) à de l’excitation, mais une vibration confortable dans certaines choses des sens. Seulement, c'est très-très différent de ce que c'était avant. Il est évident que pour suivre son rythme propre, le corps devrait réduire ses activités au minimum; pas exactement «réduire», mais avoir la liberté du choix de ses mouvements: rien qui lui soit imposé du dehors – ce qui est fort loin de la réalité. Et pourtant, si l’on voit l’ensemble, c'est une conviction absolue, même du corps, que rien ne se produit qui ne soit l’effet de la Volonté suprême. Par conséquent, les conditions dans lesquelles il se trouve sont les conditions que, Lui, a voulues et qu'il veut – qu'il veut – à chaque seconde. Alors la conclusion, c'est qu'il doit y avoir une résistance ou une incapacité dans le corps à suivre le Mouvement. Quand le problème en arrive là, il y a toujours une réponse similaire: «Ne t'occupe pas de ça!» Je crois que c'est cela, la sagesse. Voilà. Il faut apprendre à se laisser vivre, c'est cela qui est important: «Ne sois pas tout le temps à réagir contre ceci, à essayer cela, à... – laisse-toi vivre.» Au fond, la volonté de progrès est encore tout imprégnée de désir: il n'y a pas le sourire de l’Éternité là-derrière. C'est toujours la réponse, qui peut se traduire ainsi (mais ce ne sont pas des mots): «Ne t'occupe pas de ça.» C'est encore un reste de la vieille tension. (Mère entre en contemplation) Il y a, en tout cas, une sorte de sensation ou de perception que tu es, pour le moment ici, le seul qui comprenne vraiment ce qui m'arrive. C'est quelque chose. Je suis très «grateful» comme l’on dit, que, au point de vue extérieur, au moins ce qui se passe ne sera pas tout à fait inutile; parce que les signes, comme je l’ai dit, de la Puissance à l’œuvre augmentent de jour en jour, de jour en jour; seulement, si c'est cristallisé autour d'une expérience qui est rendue sensible aux autres, je crois que ça devient plus clair, n'est-ce pas, au lieu d'être quelque chose de tout à fait diffus. Par conséquent, même à ce point de vue extérieur et de réalisation extérieure, tu peux être satisfait. Dans la grande œuvre universelle, ton existence a sa place et son utilité. Au point de vue personnel... Moi, j'ai l’impression que tu es OBLIGÉ d'avoir des expériences, au bout de quelque temps; ça doit venir nécessairement, parce que c'est le domaine qui est ouvert. Changer ce corps, c'est nouveau; mais avoir des expériences, ça existe déjà, alors ça doit t'arriver, il est obligé que cela t'arrive. Seulement, je crois qu'elles seront d'un caractère très particulier, en ce sens qu'elles seront très positives. Tu as refusé catégoriquement les expériences qui consistent à sortir de l’existence actuelle et à en chercher une autre – tu n'es pas venu pour cela et tu n'en veux pas. Ce que tu veux, c'est quelque chose de très concret – c'est un petit peu plus difficile à avoir. Mais ça viendra. Je ne te dis pas cela pour te consoler mais parce que je le vois comme cela: ça viendra. Et ce qui est intéressant, c'est qu'il y a une identité dans le mouvement: ce qui t'est arrivé ces derniers temps, cet amincissement, c'est encore un exemple; c'était justement ma préoccupation de ces jours-ci – ça veut dire quelque chose. On nous donnera peut-être un petit bonbon un jour!
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