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01.04.2019, 08:32 | |
1963.02.23
(À propos d'un rêve, ou plutôt d'une expérience de Sujata, dont malheureusement nous n'avons pas gardé note:) Elle est allée chez Sri Aurobindo, dans le physique subtil – c'est une chose vraie, réelle, concrète, aussi concrète qu'ici. Dès que j'ai eu sa lettre, j'ai vu: elle est allée là. D'ailleurs je savais qu'elle avait été là. Il y a tant de gens qui y vont et ne le savent pas! ils oublient. Mais elle a eu un joli souvenir. Elle y va très souvent la nuit, très souvent, mais les gens ne se souviennent pas. Et c'est tout simplement un manque d'éducation. Si l’on s'éduque soi-même, on se souvient très bien. Ce sont des petits trous dans la conscience, des vides; alors quand on passe à travers le vide, on oublie. Mais on a aussi, tout d'un coup, comme une vague impression de quelque chose, et puis ça vous échappe – ah! c'est fini. Seulement ça prend beaucoup de temps pour s'éduquer; il ne faut pas être pressé, il ne faut pas être occupé. Je me suis fait ça à une époque où j'ai dû rester cinq mois couchée; je n'avais rien à faire (on ne peut pas lire tout le temps – j'ai lu pendant ces cinq mois à peu près huit cents livres... non, neuf-cent-cinquante! mais les yeux se fatiguent), alors le reste du temps (on ne peut pas dormir non plus quand on est couché tout le temps), je me suis éduquée: c'est à ce moment-là que j'ai appris à avoir des nuits entièrement conscientes. Mais c'est une discipline. Quand on se réveille, que ce soit au cours de la nuit ou le matin: pas bouger, rester absolument immobile et concentré, très silencieux, en TIRANT le souvenir. Alors, pendant un mois, deux mois, ça ne mène à rien du tout; six mois, ça commence à agir; et à la fin, on se souvient de tout. À la fin, on fait le mouvement opposé, en ce sens que chaque fois qu'on a un rêve intéressant, on se réveille: on apprend à se réveiller au milieu de la nuit chaque fois qu'on a une vision ou un rêve, une activité (ça dépend), de façon à se souvenir, et puis on se le répète à sa conscience (quand on est éveillé, on se le répète deux-trois fois, dix fois, pour être bien sûr de ne pas oublier), et puis on repart. Mais tout ça, si le matin il faut sauter de son lit, si on a cinquante mille choses qui vous hâtent, on ne peut pas. Ce n'est pas indispensable pour le yoga, du tout; c'est plutôt une distraction, un amusement. (protestations du disciple) Et alors on a le plaisir de savoir ce qui se passe – ce n'est pas nécessaire. Je sais maintenant, ça m'est tout à fait égal! Quand je me couche, au moins huit fois sur dix, quand je suis couchée, je dis: «Ô Seigneur, donne-moi une nuit silencieuse», ce qui est très égoïste – Il me fait travailler toutes les nuits! Mais quelquefois, on est fatigué de travailler, on a envie d'être béatifique. Un silence béatifique. Alors je Lui demande: «Laisse-moi être béatifique.» Ça réussit assez bien. Mais c'est une nuit sur cinq ou six. Autrement, toute la nuit est consciente, et tu ne peux pas t'imaginer la quantité formidable de choses que l’on peut faire dans la nuit! Enfin, c'est bien, j'étais très contente pour elle [Sujata], c'est très bon signe. * * * Peu après Nous avons un grand mathématicien ici, qui vient de Madras régulièrement, le Dr. V, tu connais, et il s'est amusé, pour le jour de ma fête, à prendre les chiffres de ma date de naissance et il a fait avec cela un carré avec des petits compartiments (ce doit être un terrible travail!): dans n'importe quel sens on lit, ça fait toujours le même chiffre. C'est admirable. Et ce chiffre, c'est 116. Tout cela, ce sont des mathématiques célestes (!) mais ce devrait être le chiffre de mon nombre d'années. Mais je trouve que c'est un peu court. Parce que à l’allure où ça va, cent-seize ce n'est pas beaucoup qui reste; une trentaine d'années, un peu plus... oui, une trentaine d'années, c'est tout. Qu'est-ce qu'on peut faire en trente ans!? À la façon dont ça marche, oh!... Quand Sri Aurobindo disait trois cents ans, je crois qu'il a dit le chiffre minimum. On verra. (silence) Il y a, dans la conscience corporelle, deux attitudes qui sont toutes les deux... Non, il y en a une qui devient beaucoup plus naturelle: c'est une sorte d'attitude (comment dire cela en français?) everlasting... perpétuelle, il n'y a aucune raison pour que ça ne continue pas; les cellules se sentent perpétuelles et il y a un certain état de paix harmonieuse intérieure qui participe à l’éternité, c'est-à-dire qu'il n'y a pas le genre de désordre, de friction, qui est la cause du vieillissement ou de la désintégration (c'est une espèce de grincement dans les rouages qui fait cela). La conscience ordinaire des gens (je ne parle pas ici d'idées, de conceptions, rien de tout ça: c'est la conscience du corps, la conscience des cellules du corps), la conscience ordinaire naturelle, normale, est cette conscience de grincement, de friction, qui est un désordre perpétuel, et qui cause le vieillissement. Ça, ça commence à s'éloigner. C'est rarement senti, sauf quand il y a une trop grande pression du dehors. Quand il y a une accumulation formidable d'un tas de petites... on ne peut pas appeler ça des «volontés» mais des velléités de choses (de choses, de gens, de circonstances) qui veulent être exécutées, qu'on s'occupe d'elles; quand ça ne dépasse pas une certaine quantité, c'est reçu avec un sourire et cela n'a aucun effet, mais quand la dose est dépassée, alors tout d'un coup, il y a quelque chose qui dit: «Ah! non! assez-assez-assez!» À partir de ce moment-là, la conscience ne vaut plus rien. Elle retombe dans l’ancien rythme, et par conséquent ça doit produire une usure. Mais de l’autre manière, c'est une sorte de mouvement harmonieux, onduleux (Mère dessine de grandes ondes) qui est presque hors du temps, pas tout à fait: il y a une sorte de perception du temps, mais secondaire et un peu lointaine. Et ce mouvement-là (geste d'ondes) qui donne le sens de l’éternité – en tout cas du perpétuel –, il n'y a pas de raison que ça cesse. Il n'y a pas de friction, il n'y a pas de frottement, il n'y a pas d'usure, et ça peut durer indéfiniment. Ça commence à être comme cela. Mais pas ces jours-ci. Hier soir (était-ce hier?... non, avant-hier), quand je suis allée là-bas, sur la terrasse-balcon, la différence de perception de la conscience entre maintenant et celle que j'avais avant, c'était formidable! Avant, je l’ai toujours dit: je reste là, j'appelle le Seigneur, et dans Sa présence, je reste, et c'est seulement quand Il se retire que je rentre – c'était comme cela. Et j'avais une certaine relation avec les gens, les choses, le monde extérieur («extérieur», pas extérieur, mais enfin le monde). Avant-hier, quand je suis allée, je ne pensais à rien, je n'observais même pas, simplement je suis allée – je ne voulais pas savoir ce qui se passait, ça ne m'intéressait pas et je n'observais pas... C'était comme si l’autre expérience (du premier balcon, il y a un an) avait été des siècles avant! C'était tellement AUTRE CHOSE! Et si spontané, si naturel, et puis alors si immense!... La terre était petite. Et pourtant c'était tout à fait ici: je n'étais pas «là-bas», c'était LE CORPS qui sentait ça. Et en même temps (j'étais deux étages au-dessus des gens), chaque fois que je regardais, je reconnaissais des tas, des tas de gens, comme s'ils me sautaient aux yeux – une vision si claire, beaucoup plus claire (la vision que j'avais était toujours un peu trouble parce que ce n'était pas tout à fait physique ce que je voyais: c'étaient les forces qui bougeaient), et hier, c'est comme si... comme si j'étais montée au-dessus de la possibilité du brouillard! C'était beaucoup moins physique, BEAUCOUP PLUS exact. Et avant, j'avais l’impression de la Force, de la Conscience, de la Puissance, concentrées à un certain endroit et se répandant. Et là, c'était une IMMENSITÉ de Puissance, de Lumière, de Conscience, de perception, qui se concentrait dans un tout petit point: c'était tous ces gens. Une différence si colossale que je ne m'y attendais pas – je n'y pensais pas, je ne m'y attendais pas. Je suis restée là tout le temps que c'était comme cela, et puis à un moment donné, on a dit: «Ça suffit, les gens se fatiguent.» (Ce n'était pas moi.) «C'est assez, ils ne peuvent plus la supporter davantage.» Je suis rentrée. C'est ça qui m'a fait rentrer. Ça a duré cinq minutes. En cinq minutes, ils étaient pleins à craquer. Je crois que ce corps est devenu une autre personne, ce n'est plus la même chose. Il n'est plus ce qu'il était. Et pourtant, le souvenir de son existence terrestre n'a pas disparu, ce n'est pas un autre corps; et pourtant c'est une autre personne. Tout ça, je parle seulement de la conscience matérielle (Mère touche son corps); l’autre chose là-bas (geste en Haut), tout s'explique très facilement, il y a longtemps que c'est fait, c'est autre chose – non, c'est ici. C'est ICI qu'est le changement. C'est curieux. Voilà, petit. * * * (Un peu plus tard, Mère parle des secrétaires qui ne font pas ce qu'Elle dit et qui prennent trop de son temps:) Ils ne tiennent absolument aucun compte de ce que je dis. Comment?! Oh! c'est comme ça. Je dis aux gens: «Il faut que j'aie fini à telle heure.» – «Oui-oui.» Et puis on ne bouge pas. Je ne vais pas me mettre à les... Et alors je suis coincée, les pieds sous la table, c'est difficile... Ou il faut faire un éclat. Quelquefois je le fais, je dis: «Ah! au revoir», et je pousse ma chaise. Je me lève et je pousse ma chaise. Mais ça, c'est... quand c'est d'une nécessité absolue. Au fond, je suis rarement méchante! (rires) Ça peut arriver: ce matin, je l’ai été. Il y a des gens qui avaient mis leur petite fille ici; elle est restée quatre ou cinq ans, ils ne se sont pas du tout occupés d'elle. Elle était dans le dortoir de M – M a été une véritable mère pour elle, elle s'est occupée de ses robes, de tout, les parents ne s'en occupaient pas (je crois qu'ils envoyaient régulièrement les cent roupies, et puis c'était tout, ils n'avaient pas une pensée pour leur fille). Cette petite, chez elle, c'est ici. Alors les parents sont arrivés pour le Darshan, ils ont trouvé que la petite n'était pas assez chaleureuse, qu'elle ne les aimait pas assez, qu'elle aimait beaucoup trop être ici – conclusion: ils l’emènent. Ça m'a paru tellement... honteux! Honteux, d'un égoïsme si stupide. J'ai essayé d'intervenir par plusieurs côtés. Ils avaient pris la petite chez eux : elle n'a pas cessé de pleurer, nuit et jour. Mange pas, pleure tout le temps. Et elle dit : «Je veux retourner, je veux retourner... Je veux rester ici, je ne veux pas m'en aller. » — «Ah ! c'est comme ça que tu es ! Eh bien, nous t'emmenons. » C'est d'une cruauté ! Une des choses les plus laides qu'on puisse imaginer. Hier, j'ai encore essayé (ils vont s'en aller aujourd'hui, je crois), je leur ai fait dire quelque chose, on m'a répondu : « Le père trouve que sa fille l'a oublié et ne l'aime plus, il ne veut plus la laisser ici, il l'emmènera. » J'ai répondu : « Il croit qu'en la maltraitant, il va l'obliger à l'aimer ?» — Imbécile, peut pas comprendre, rien n'entre dans sa tête. Je n'ai pas vu le monsieur. Et puis, ces gens ont amené avec eux un petit de quatre ans. C'était son anniversaire aujourd'hui. Ils m'ont envoyé de l'argent pour le petit et demandé une carte de bénédictions. J'ai refusé la carte et j’ai rejeté l'argent à leur nez — carrément. Et j'ai dit : «Vous leur direz que ce sont des gens égoïstes, selfish and stupid, and I want nothing from them » [égoïstes et stupides, et je ne veux rien recevoir d'eux]. Et j'ai tapé sur la table... Oh ! oh !... Tout le monde était sidéré. (Mère rit) Le docteur était là, Nolini, Champaklal, Amrita... Il y avait quelque chose en moi qui riait beaucoup ! Oh ! ils ont pensé que j'étais formidablement en colère : «Ils verront ce qui va leur arriver !... » Et tu sais, je connais ces vibrations : elles sont terrifiantes, mon petit. Ce n'est pas humain. Quand ça vient, c'est terrible, les gens sentent froid sur la peau. Et moi, je regarde ça comme un spectacle ! Plusieurs fois, c'est Sri Aurobindo. Mais cette fois-ci, c'était tout à fait impersonnel. C'était quelque chose qui ne VEUT PLUS tolérer dans le monde un certain genre d'imbécillité égoïste — massacrer toute la finesse de sentiment de cet enfant parce qu'elle n'est pas stupidement attachée à la famille ! (qui ne s'est pas occupée d'elle du tout, du tout, elle n'existait pas tous ces temps-ci). Si vous voulez que vos enfants vous aiment, il faut au moins que vous les aimiez un peu, que vous vous occupiez d'eux, non ? C'est élémentaire, il n'y a pas besoin d'être calé pour comprendre ça — comprennent pas: «C'est le DEVOIR de l’enfant d'aimer ses parents »! ! Et puis si vous ne remplissez pas votre devoir, on vous met en prison. Bon. Mais ceux-là ne l'emporteront pas en paradis. Cette petite, elle s'est débattue, n'est-ce pas, comme une noyée. Elle est allée partout : elle s’est réfugiée à l'école, réfugiée chez Pavitra, elle a supplié G en larmes d’intervenir. M est tout à fait désespérée. Tout le monde insiste, ils ont scandalisé tout le monde — leur «droit» ! Forts de leur droit, ils prennent la petite et la squeeze [pressurent]: «Tu nous aimeras ou tu verras ce qui va t’arriver. » Et ils croient réussir !
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(Au moment de partir, Mère reparle de son expérience du balcon :) Le balcon, c’était assez intéressant. Parce que tout d’un coup, je me suis aperçue d’un changement dont je n’étais pas consciente. C’est comme une montée en flèche dont je n’ai pas été consciente du tout. La seule chose dont je suis consciente, c’est qu’à chaque, CHAQUE moment, si je m'arrête de parler, ou d’écouter, ou de travailler, à chaque moment, c’est... comme des grandes ailes béatifiques, et vastes comme le monde, qui bougent lentement, comme ça. C’est cette impression d’immenses ailes — pas deux : c’est tout autour et ça s'étend partout. Et c’est constant, nuit, jour. Seulement, je n'y participe que quand je me tiens tranquille. Mais ça ne me quitte pas. Les ailes du Seigneur.
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