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26.03.2019, 11:24 | |
1963.02.19
(Une expérience de Mère survenue le lendemain de la dernière entrevue, le 16:) C'était vraiment très intéressant. Et puis ce n'est plus qu'un souvenir, ce n'est plus ça... Ça concernait la création du monde matériel, de l’univers matériel, d'après cette conception du Suprême qui devient amoureux de Son émanation; mais alors c'était d'une façon tout à fait générale. C'était la vision comme si j'étais de l’autre côté – du côté du Suprême, pas de la création –, et voyant la création dans son ensemble, avec le vrai sens du progrès, le vrai sens de l’avance, du mouvement, et la vraie manière dont ce qui n'appartient pas à la création future disparaîtra dans une sorte de pralaya (ça ne peut pas «disparaître», mais ce sera retiré de la Manifestation). Alors c'était très intéressant: tout ce qui ne collabore pas (en ce sens que c'est une expérience suffisante, une expérience qui n'a pas de suite) était réabsorbé. C'était comme la vraie façon de voir ce qu'ils ont traduit par le Jugement dernier. C'est une chose qui se passe constamment, toute cette «bouffée» de manifestation, et il y a des choses qui ont été, selon notre vision du temps, mais qui se prolongent, c'est-à-dire qu'elles continuent à exister dans l’avenir; il y a des choses qui s'épuisent (ça, c'est le présent); et il y a des choses qui n'ont plus de raison d'être, qui ne peuvent pas suivre le mouvement (je ne sais pas comment expliquer) et qui rentrent dans le Non-Être – dans le pralaya, le Non-Être, ce qui n'est pas manifesté –, mais pas dans leurs formes: dans leur essence naturellement; c'est-à-dire que ce qui est le Suprême reste le Suprême non-manifesté. Mais tout ça, c'était une expérience vivante, concrète, qui a duré pendant un jour et demi. C'était tout le mouvement universel qui était VÉCU, sensible; pas seulement vu: vécu – dans une lumière! une puissance formidable! Et alors cette espèce de certitude qui est en toute chose – c'est très curieux. C'est difficile à exprimer. Mais l’expérience a duré si longtemps qu'elle était devenue tout à fait familière; traduite par des mots, je pourrais dire: c'est la façon du Suprême de voir les choses – de les sentir, de les vivre. Je les vivais comme Lui. Et alors, ça donne une puissance de certitude de réalisation en ce sens que: ce vers quoi on va, c'est là déjà; et le chemin vu, le chemin parcouru et le chemin à parcourir, tout ça vit simultanément. Et alors une logique! Une super-logique éternelle, merveilleuse, qui fait que c'est de toute évidence – tout est de toute évidence. Oh! les luttes, les efforts, les craintes, tout ça, absolument, absolument inexistant. Et en même temps, l’explication du sentiment que l’on a de choses que l’on ne veut plus: elles ne sont plus dans le Manifesté. N'est-ce pas, c'est comme un crible où tout est jeté, et où Lui... (pour Lui, tout-tout est la même chose) mais la vision de ce qu'il veut, et alors de ce qui est inutile à ce qu'il veut, ou de ce qui empêcherait la plénitude, la totalité de ce qu'il veut (des sortes de contradictions, je ne sais pas comment expliquer cela), alors ça, simplement Il fait comme ça (geste de réavaler) et ça sort de la Manifestation. À ce moment-là, j'aurais pu le dire d'une façon compréhensible, maintenant... Mais ces choses inutiles, elles peuvent être retirées de la Manifestation sans provoquer des catastrophes? Je ne sais pas comment dire... Si je le dis comme cela, ça introduit un arbitraire qui n'existe pas: ce n'est pas un «Monsieur» qui décide de retirer certaines choses parce qu'il n'en veut plus! ce n'est pas ça. Ce sont des choses qui, par leur tendance même (ce que l’on pourrait appeler la vérité de leur être), des choses qui, à un moment donné, avaient une place dans la Manifestation, et qui tout naturellement sortent de la Manifestation quand leur utilité est partie – il y a cinquante façons de le mal dire, je ne vois pas comment on peut le dire convenablement. Mais c'était un fait évident. Ça faisait partie de cette Chose si merveilleusement complète et harmonieuse – cette Harmonie-là, nous ne la comprenons pas, nous ne pouvons pas la comprendre parce que nous sommes trop dans la sensation des choses opposées. Mais là, ça n'existe pas, les choses «opposées»; seulement il y a des choses qui... Comme ce fait du Suprême qui paraît être dominé par Sa création et qui obéit totalement à la création – comme s'il ne pouvait rien, ne savait rien, ne voyait rien, et ça continue dans le chaos que nous connaissons –, eh bien, quand nous le disons comme cela, ça a quelque chose qui nous paraît incroyable et choquant, mais là c'était si-si naturel et si vrai, et ça faisait partie d'un tout si parfait! Seulement, on ne peut le voir que si on voit tout. À ce moment-là, tout était pré-existant, quoique se déroulant dans le temps pour la Manifestation. Mais c'était pré-existant. Et pas pré-existant comme nous le comprenons, pas tout «à un moment donné»... Oh! comme c'est impossible! C'est impossible à dire. J'ai encore ce que je pourrais appeler la chaleur de l’expérience – la réalité, la vie, la chaleur de l’expérience sont là. J'ai vécu, n'est-ce pas, dans une Lumière! Une Lumière qui n'est pas notre lumière, qui n'a rien à voir avec ce que nous appelons lumière, mais une Lumière tellement chaude et tellement puissante! une Lumière créatrice. Tellement puissante!... Et tout était si parfaitement harmonieux: tout-tout-tout sans exception, même les choses qui paraissent absolument contradictoires de la Divinité. Et avec un rythme! (geste comme de grandes ondes) une harmonie, une TOTALITÉ si merveilleuse! où la succession... La succession, ce ne sont pas des choses comme ça (gestes hachés), dont l’une abolit l’autre, c'est... Peut-être, à ce moment-là, j'aurais pu trouver ou inventer des mots, je ne sais pas, maintenant... maintenant, c'est seulement le souvenir. C'est le souvenir, ce n'est pas la présence. l’expérience a duré longtemps. Elle a commencé la nuit et duré un plein jour, et il y avait encore quelque chose qui restait cette nuit, et puis... (riant) c'était comme si l’on me disait: «Quoi? Tu ne vas pas bouger de cette expérience-là maintenant! Tu vas rester là, tu es collée?!» Mais c'est tellement ça: ça va vite, ça va vite, ça va vite, et on a beau courir, on ne va pas aussi vite qu'il faut. La nuit dernière ou la nuit d'avant encore, j'étais dans la maison de Sri Aurobindo et il me disait: «Il y a des choses qui ne vont pas.» Et il m'a fait faire la visite de sa maison. Et il y avait des tuyaux – de gros tuyaux – qui avaient crevé. Il m'a dit: «Tu vois, on n'a pas fait attention.» Il y avait des endroits où l’on avait enlevé tous les meubles et on nettoyait d'une façon idiote; il m'a dit: «Tu vois, ils ne font pas ce qu'il faut.» Alors j'ai compris que c'était la réflexion de choses qui se passent ici. Et il était... (il n'était pas fâché, il n'est jamais fâché), mais on l’embêtait, en ce sens qu'il ne pouvait pas faire son travail: j'arrivais dans une chambre, je voulais lui arranger un coin parce qu'il voulait écrire, et c'était impossible, tout était arrangé d'une telle manière qu'il ne pouvait même pas avoir un coin convenable pour écrire – d'autres fois, c'est tout à fait bien. Parce que ça change tout le temps (les arrangements de chambre ont un sens intérieur – ça a un SENS –, alors ça reste toujours le même, c'est comme si le cadre était toujours pareil; parce que ce n'est pas une maison d'après le plan d'un architecte! c'est sa maison à lui: il l’a arrangée selon son goût, et ça reste), mais les gens semblent avoir une admission libre là-dedans, tout à fait libre, et chacun veut faire quelque chose, veut être «utile », (riant) alors c'est affreux! C'est ça qui a effacé, a poussé l’expérience en arrière dans le champ du souvenir. C'était comme s'il me disait: «Ne t'occupe pas trop des choses universelles parce que ici, (riant) ça ne va pas trop bien!» * (Un peu plus tard) Depuis vingt jours, je suis dérangé. Et moi, je suis harassée naturellement – c'est la façon dont les gens conçoivent de fêter mon birthday! [anniversaire] Avec cette expérience, je m'attendais ces jours-ci à des choses vraiment exceptionnelles, vraiment parce que... c'est une Présence si concrète! si concrète! Mais c'est un concret qui rend notre concret tout à fait mince et sans vie – ce que nous appelons «vie», c'est une espèce de... quelque chose de gélatineux! (silence) On ne me donne pas le temps d'avoir des expériences. C'était comme cela l’autre nuit, comme si Sri Aurobindo me disait: «Tu vois, tu vois ce qu'ils font quand tu n'es pas là.» Mais alors je perds tout mon temps! Moi, je voulais que le livre (l’Aventure de la Conscience) soit publié pour le 21 février 64. Ça ne va pas faire beaucoup de temps parce que... Ça aussi, c'est merveilleux, ça devait faire partie des choses que Sri Aurobindo me faisait voir: à l’Imprimerie, ils sont en retard pour tout – et ils travaillent nuit et jour! Ils n'ont jamais tant travaillé! Évidemment, vu d'en haut, c'est un manque d'organisation; pour une chose qui demanderait un gramme de force, ils doivent y mettre un kilo, et ça ne marche pas. Ça grince, ça grince. Manque d'organisation. Mais tout, toute la vie – toute la vie est comme cela! Pour TOUT. Pour décider de quelque chose, organiser quelque chose (ce sont des exemples concrets que j'ai: quatre, cinq, dix par jour), il suffirait de quelques minutes de vision claire, tranquille, mais TOTALE, pour que tout marche parfaitement bien. Et alors ils sont quatre ou cinq pour décider; chacun apporte son idée, son point de vue, son petit angle; ils mettent tout ça ensemble, ils bavardent pendant deux heures... et rien n'est fait. Alors finalement, ça revient à dire qu'il va falloir que je recommence... J'avais cessé depuis longtemps de m'occuper de tout – longtemps avant de monter, j'avais dit aux gens: «Faites vos propres affaires.» Et c'est devenu un tel chaos!... Alors aggravé quand, physiquement, ils ne m'ont pas vue. La présence physique, c'était simplement quelque chose qui les tenait. C'est devenu impensable. Mais je dois dire que ce n'est pas limité à l’Ashram: dans le monde c'est comme cela aussi – spécialement dans l’Inde... le gouvernement est devenu tout à fait toqué. Ils bombardent les gens de papiers à remplir, de règlements, d'interdictions... J'ai une lettre sur trois qui est ou censurée ou disparue. Oui, c'est ça. Ma correspondance, il y en a plus de la moitié qui n'arrive pas. Mais tu sais pourquoi? – Ce n'est pas du tout qu'ils la trouvent suspecte ou quoi que ce soit de ce genre; c'est qu'ils sont débordés de travail, ils sont fatigués, agacés: au lieu d'ouvrir soigneusement et de pouvoir refermer, ils déchirent de telle façon qu'ils ne peuvent pas décemment faire passer la lettre! Ce n'est pas autre chose que cela. C'est comme les paquets, tu ne peux pas t'imaginer! Ils ouvrent les paquets... un enfant ouvrirait mieux qu'eux! C'est dégoûtant. Ils cassent les choses, ils gâtent tout, ils renversent les bouteilles, ils... Alors, naturellement, qu'est-ce qu'ils peuvent faire? Quelquefois ils ne peuvent même pas l’envoyer parce que c'est trop abîmé. Maintenant, je dois dire que quand les gens se plaignent, je leur dis: «Mais imaginez un peu que vous ayez à faire ce travail imbécile (c'est un travail imbécile) et que jour après jour, heure après heure, toute la journée, avec pas assez de gens (ou la moitié de ceux qui sont là qui ne fichent rien), vous soyez obligés de faire ça – vous saboteriez aussi, ce serait la même chose au bout d'un certain temps.» C'est ce que je dis toujours aux gens qui critiquent le gouvernement: «Vous mériteriez qu'on vous mette à la place du Premier Ministre, ou de tel ou tel autre ministre, à prendre des décisions, et puis que vous ayez la responsabilité et que vous vous trouviez tout d'un coup obligé de décider de choses que vous ne savez pas, vous verriez comme c'est gai!» N'est-ce pas, pour gouverner convenablement, il faut être... il faut être un sage! Il faut avoir une vision universelle, il faut être au-dessus de toutes les questions personnelles... Il n'y en a pas un – pas un. Il y en a qui sont amorphes (ce sont les meilleurs parce que ceux-là, je peux leur faire faire ce que je veux); ils sont comme des automates, alors on peut en faire quelque chose; mais malheureusement ils se croient... justement ils ont le sens de leur responsabilité et ils se croient très supérieurs, alors là c'est terrible! Enfin... On a envoyé des papiers à 1'Ashram pour demander si nous avions des objets en or autres que des bijoux! Alors, (riant) je voyais ça dans les anciens palais: des candélabres d'or, le trône!... C'est tellement ridicule! Que faire?... Durer. * Puis Mère parle de sa traduction de Savitri
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Ça m'apprend l’anglais sans livre! Maintenant, quand j'ai une lettre à écrire, tous les mots viennent: le CONTENU du mot (comme je te l’avais dit pour «moment» et «instant»), c'est devenu pour tous les mots comme ça! J'écrivais hier quelque chose en anglais pour un docteur qui est ici (Mère cherche un papier): The world progresses so rapidly that we must be ready at any moment to overpass what we knew in order to know better [Le monde progresse si rapidement que nous devons être prêts à tout moment à dépasser ce que nous connaissions afin de connaître mieux]. Et alors, jamais je ne pense: ça vient, ou le son ou le mot écrit (cela dépend des cas: tantôt je vois les mots écrits, tantôt j'entends le son). Par exemple, d'abord est venu advance, et avec advance il y avait quick, quickly, constamment; puis est venu progress, et quick ne se présentait plus; et tout d'un coup est arrivé rapidly; alors j'ai compris, c'était comme cela, tous les mots viennent comme cela! J'ai compris: avec progress (l’idée, le sens intérieur de progress), c'est rapidly; avec advance, c'est quick. Dit comme cela, on a l’air de couper les cheveux en quatre, mais là, c'était d'une évidence absolue! Le mot était vivant, avec son contenu, et le mot qui était son ami, qui allait avec; et celui qui ne l’était pas était loin, il ne voulait pas! Oh! c'est si amusant! rien que pour ça, ça vaut la peine. Et j'ai fait des expériences en français aussi. J'avais écrit quelque chose: «Pour chacun, le plus important est de savoir si on appartient au passé qui se perpétue, au présent qui s'épuise, à l’avenir qui veut naître.» J'ai donné ça à Z – pas compris. Alors je lui ai dit: «Ça ne veut pas dire «notre» passé, «notre» présent, «notre» avenir»... C'est quelque chose que j'avais écrit quand j'étais dans cet état-là (l’expérience du début de cette conversation) et c'était en relation avec une très gentille vieille dame qui vient de quitter son corps: je lui ai dit cela. On s'attendait à son départ depuis déjà plus d'un ou deux mois, mais j'ai dit: «Vous verrez, elle durera; elle durera au moins un ou deux mois», parce qu'elle sait vivre au-dedans, en dehors de son corps, et le corps continuera par habitude, sans chocs et sans heurts. Alors elle était dans cet état, ça pouvait durer très longtemps. On avait annoncé qu'elle allait partir dans les quarante-huit heures, j'ai dit: «Ce n'est pas vrai.» Et je la connais bien en ce sens qu'elle était sortie de son corps et qu'il y avait le lien avec moi. Et je lui disais: «Qu'est-ce que ça peut te faire!... (mais elle ne s'inquiétait pas du tout, elle restait tranquille près de moi)... le tout est de savoir si on appartient au passé qui se perpétue ou au présent qui s'épuise, ou à l’avenir qui veut naître.» Quelquefois, ce que NOUS appelons passé, c'est là, c'est l’avenir qui veut naître; quelquefois, ce que NOUS appelons le présent, c'est quelque chose qui est en avance, qui est venu en avance; mais c'est aussi, quelquefois, quelque chose qui est venu en retard, qui appartient encore à ce qui va disparaître – tout ça, je le voyais: les gens, les choses, les circonstances, tout avec cette perception-là, et quelle était la vibration qui allait continuer en se transformant, quelle était la vibration qui allait s'épuiser, disparaître, quelle était la vibration qui, bien qu'elle ait été manifestée depuis longtemps, avait un droit à continuer, à persister – ça change toutes les notions! C'était si intéressant! Alors j'ai écrit ça tel quel – pas d'explication (on n'a pas du tout envie d'expliquer dans ce cas-là, c'est tellement évident!). Pauvre Z, il m'a regardée – comprenait plus! Alors je lui ai dit: «N'essayez pas! Je ne parle pas du passé, du présent et de l’avenir tels que nous les connaissons, ce n'est pas ça.» (Mère rit) Mais c'est amusant parce que cela ne m'avait jamais beaucoup occupée (les questions de langage), c'est une expérience tout à fait neuve, comme la vérité derrière l’expression. Avant, c'était le souci d'être aussi claire, aussi exacte, aussi précise que possible; de dire ce que l’on veut dire exactement, de mettre le mot à sa place. Mais ce n'est pas ça! C'est chaque mot qui a sa vie propre! Les uns s'assemblent par affinité, les autres se rejettent, c'est très amusant!
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