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22.12.2018, 16:54 | |
1962.10.30
(Peu après, le disciple reprend la précédente conversation où il était question de la musique:) Mais ces zones de la musique, de la peinture, etc., font partie du surmental ou pas? Hem! oui... Je ne sais pas. Moi, les classifications, quelles qu'elles soient, me paraissent toujours trop rigides. Ça manque d'une souplesse qui existe dans l’univers. Nous avons toujours besoin de mettre une boîte dans l’autre, une boîte dans l’autre! (Mère rit) ce n'est pas comme ça! Ce serait plutôt une correspondance qu'une partie. Ça fait partie, oui, mais lequel fait partie de l’autre?! Ça fait partie de quelque chose qui n'est ni ceci ni cela ni autre chose! Il y a des LIGNES d'approche différentes. Ça dépend, au fond, de l’aspiration ou de la préoccupation dominante, ou du besoin que l’on a pour le travail que l’on fait. Et c'est comme si on allait DIRECTEMENT à l’endroit où l’on veut aller, en ignorant tout le reste, sans s'en apercevoir – en passant au travers si c'est nécessaire mais sans s'en occuper. Et ce besoin de classifier, tu sais... ça vient après, si on a envie de décrire, mais ce n'est pas nécessaire. C'est comme ce fameux Nirvana, on peut le trouver derrière tout. Il y a un nirvana psychique, il y a un nirvana mental, il y a même un nirvana vital. Je crois que je te l’ai déjà dit, j'ai eu une expérience comme cela avec Tagore, au Japon. Tagore disait toujours que dès qu'il se mettait en méditation, il entrait dans le nirvana, et il m'a demandé de méditer avec lui. Nous nous sommes assis ensemble en méditation. Je m'attendais à faire une ascension très directe, mais il est entré DANS SON MENTAL, et là... (n'est-ce pas, ce que je fais, c'est de me brancher sur la personne avec qui je médite: je m'identifie à elle, comme ça je sais ce qui se passe), alors il se mettait en méditation et très rapidement tout était arrêté, ça devenait absolument immobile (il le faisait très bien), et puis de là, il faisait un mouvement de chute, comme en arrière, et puis c'était le Néant. Et il pouvait rester là-dedans indéfiniment! En fait, nous sommes restés suffisamment longtemps; je ne me souviens plus du temps, si c'était trois quarts d'heure ou une heure, mais enfin c'était suffisamment long. Et moi, j'étais toujours en éveil pour voir si, par hasard, de là, il passait ailleurs, mais il restait là – il est resté là bien tranquille, sans bouger. Puis il est revenu, son mental a recommencé à marcher et puis c'était fini. Je ne lui ai rien dit. Mais c'était vraiment un Nirvana: le Néant. Pas une sensation, pas un mouvement, pas une pensée naturellement, rien, pas une vibration, rien – comme ça, Nirvana. Alors ma conclusion toute naturelle était qu'il y a un nirvana derrière le mental puisqu'il est passé directement. Et j'ai fait mon expérience à moi, dans les différentes zones de l’être, et je me suis aperçue que, en effet, il y a un nirvana derrière tout ça (il doit y avoir un nirvana derrière la cellule physique – c'est peut-être ça qui se traduit par la mort! on ne sait pas, c'est possible). Un néant, rien ne bouge plus. Et il n'y a plus rien – il n'y a plus rien, il n'y a plus rien à bouger (Mère rit). C'est le Rien. Mais à quoi ça sert? Sais pas! Ça doit servir à quelque chose. C'est-à-dire, est-ce que les choses doivent nécessairement servir? Mais enfin, est-ce que ça sert à faire un progrès? Ce sont des expériences. Oui, mais est-ce que ça sert à progresser? Ça doit servir à stabiliser, en tout cas. (silence) Je ne sais pas si on peut regarder les choses de ce point de vue, parce que c'est seulement un point de vue. Certainement, le Seigneur, si on Lui demandait «À quoi ça sert?», ou Il dirait: «Ça m'est égal», ou Il dirait: «Ça ne vous regarde pas», ou Il dirait: «Moi, ça m'amuse» – ce doit être suffisant pour Lui! Non... (silence) N'est-ce pas, le Bouddha avait été profondément choqué par l’impermanence des choses – l’impermanence de toute la création, qu'il n'y avait rien qui soit permanent. C'était l’origine de sa recherche, quand il a vu qu'il n'y avait rien qui était permanent – constant, permanent – et qu'il n'y avait rien, par conséquent, dont on puisse dire «à jamais». C'était ça qui l’avait choqué, et il lui paraissait qu'il fallait trouver ce qui est permanent, et c'est dans sa recherche du Permanent qu'il est arrivé au Néant. Et sa conclusion était comme ceci: «Il n'y a qu'une chose qui soit permanente, c'est le Néant. Dès qu'il y a création, c'est impermanent.» Pourquoi avait-il une objection à l’impermanence? Ça, je ne sais pas – c'était son tempérament probablement. Mais pour lui, c'est à cela que ça sert: c'est permanent. C'est permanent, c'est la seule chose permanente. Enfin, moi ça me semble... Sri Aurobindo, lui, dit: «Oui, c'est vrai, c'est la chose permanente. C'est un certain Non-être qui est permanent, Il est derrière tout. Mais alors pourquoi ne s'amuserait-Il pas tantôt – pas «tantôt» mais EN MÊME TEMPS, au même moment – à être permanent et impermanent? Il n'y a aucune objection.» En tout cas, Lui n'en a aucune! Ça ne plaît peut-être pas à notre mental, mais Lui... Mais je ne trouve pas cela très malin, ce Nirvana. Je ne sais pas si je vais dans le Nirvana, mais quand je m'assois en méditation et que je suis bien tranquille, eh bien, quoi? il n'y a plus rien! Si c'est ça qu'on appelle Nirvana, je ne trouve pas ça très malin. Tu es conscient de toi-même? Ah! oui, je ne perds pas conscience. Mais il n'y a rien. C'est clair, c'est lumineux, et puis il n'y a rien du tout. C'est l’état de tranquillité mentale. Il n'existe plus rien pour toi? J'entends les bruits. Ah! Je peux physiquement entendre ce qui se passe autour de moi. Alors tu n'es pas dans le Nirvana. Mais c'est une sorte d'anéantissement? Non, c'est une tranquillisation totale. Mais ce n'est pas un anéantissement. (long silence Mère se branche sur le disciple) C'est probablement l’état d'Existence pure dans lequel tu entres. D'abord le silence mental, puis l’Existence pure, c'est-à-dire l’Existence en dehors de la Manifestation: l’état de Sat. Le Sat. C'est l’Existence pure en dehors de la Manifestation. Quand nous avons médité ensemble, j'ai toujours eu l’impression que tu entrais dans une sorte de silence un peu béatifique, comme ça – oui, c'est une permanence, mais ce n'est pas un anéantissement. C'est le Sat – le Sat avant le Chit-Tapas.C'est-à-dire que ça peut durer une éternité sans avoir le sens du temps, et ça peut être un infini sans le sens de l’espace. Mais ça, si tu veux savoir, ça a même une EXTRAORDINAIRE utilité: ça renouvelle automatiquement toutes les énergies. Au fond, c'est ça, la raison véritable du sommeil: on devrait entrer dans cet état-là. Et c'est pour cela que ceux qui peuvent y entrer consciemment dans la méditation, ont beaucoup moins besoin de dormir. Beaucoup moins. C'est ce qui permet au corps de durer. C'est le Sat. C'est ce que j'ai toujours éprouvé chaque fois que j'ai médité avec toi, qu'on entrait dans cet état. Existence pure en dehors de la Manifestation. C'est merveilleusement lumineux, immobile, tranquille, et... une sorte de béatitude mais sans vibration, en dehors de la vibration. C'est très utile. Au fond, il faudrait avoir toujours ça à l’arrière-plan de la conscience et se référer à Ça automatiquement pour corriger ou éviter ou annuler tout trouble – all disturbances. C'est la même chose dont je me sers, par exemple, si le corps a une douleur (pour les choses les plus ordinaires et les plus secondaires: tousser parce qu'on a avalé de travers, le hoquet pour une raison quelconque, etc.), tous ces petits troubles qu'il y a dans le corps, on peut les arrêter pour ainsi dire instantanément en entrant dans cet état. Ça prend quelques secondes. Il faut que ce soit là, à l’arrière-plan, tout le temps, tout le temps, tout le temps, comme derrière, comme supportant tout. C'est naturellement absolument silencieux, immobile, lumineux... Oui, ça donne le sens de l’Éternité et de l’Infini. C'est éternel, c'est infini, c'est hors du temps, c'est hors de l’espace, c'est... c'est le Sat. Si on peut garder ça constamment à l’arrière-plan de sa conscience, il n'y a plus besoin de s'en aller nulle part (geste éthéré vers le haut): il n'y a qu'à faire comme ça (geste en arrière) et c'est là. Et c'est la guérison radicale du désordre. C'est l’anti-désordre. C'est avec ça qu'on peut guérir quelqu'un (s'il est capable de le recevoir). C'est l’antidote du désordre – antidote parfait du désordre. Oui, quand on sort de là, on est rafraîchi. On est reposé. Oui, c'est ça. (silence) Voilà, mon petit, alors je te souhaite une bonne année, très progressive, avec des expériences.Je commence à comprendre ce que tu veux comme expérience, mais celles que tu as, il y a des tas de gens qui, oh! seraient émerveillés de les avoir. (le disciple a l’air surpris) Tu n'appelles pas ça «des expériences» – on appelle toujours «expérience» ce que l’on n'a pas. Moi aussi, pendant des années, je disais: «Mais je n'ai pas d'expériences, je n'ai pas d'expériences...» La seule expérience de ma vie, c'était ce monde de la musique – ça m'a bouleversé. C'était si... C'était le Divin, quoi! Mais oui, c'est comme cela. Ça, c'est une expérience. Oui, je comprends. Ça s'est produit comment? Simplement une nuit, en dormant. À Ceylan. À quelle heure? Je pense, vers la fin de la nuit. Parce que je me suis réveillé et fêtais... je ne sais pas, pendant au moins deux heures de temps j'étais comme quelqu'un qui a reçu un choc. Je me disais: «Mais ce n'est pas possible, ce n'est pas possible I» Vraiment je n'en revenais pas. Oui, c'est ça, une expérience! (Mère rit) Mais alors, tu comprends, quand on entre en contact avec le Dieu intérieur – ça, c'est une expérience. Tu comprends, cette intensité, cette réalité de ton expérience, eh bien, ça a la même réalité, la même intensité, AVEC le sens du Divin éternel. Et c'est seulement le Divin intérieur: on n'a pas besoin de s'en aller à des hauteurs comme ça, c'est seulement là (Mère touche son cœur). C'est l’expérience que j'ai eue en 1912. Le premier contact quand on entre dedans comme ça, et puis C'EST ÇA... cette réalité concrète et cette intensité qui dépasse toutes les intensités physiques possibles. Et alors le sentiment de: c'est ÇA – le Divin. C'est le Divin. Voilà la réalité du Divin; c'est ça, le Divin. On EST le Divin. Ça, c'est l’expérience. Parce que c'est une base, c'est l’expérience de base. Quand on a ça, alors on va plus ou moins vite, mais vraiment quand on se donne, on va très vite. Tu es extérieurement dans la position où, ayant cette expérience, tu pourrais en quelques années faire tout le chemin, commencer tout de suite le travail de transformation (Mère touche son corps). Je l’ai eue (je te donne ça comme une indication) après un an de concentration exclusive sur: trouver ça au-dedans de soi; n'est-ce pas, entrer en contact avec le Dieu immanent. Je ne m'occupais que de ça, je ne pensais qu'à ça, je ne voulais que ça. Et c'était même amusant, j'ai résolu de le faire (parce que je travaillais déjà depuis très longtemps; Madame Théon me l’avait dit et je savais ce qu'était ma mission sur la terre et tout ça, c'est te dire – c'est l’être psychique qui appartient à cette création-ci, n'est-ce pas, cette formation – Mère touche son corps), eh bien, c'était un 31 décembre et j'ai décidé: «Dans l’année.» Et puis, j'avais un grand atelier qui était un peu plus grand que cette chambre, presque carré, et il y avait une porte qui donnait sur une cour-jardin. J'ai ouvert la petite porte et j'ai regardé le ciel, et juste au moment où je regarde le ciel: une étoile filante. Tu sais la tradition: si on formule une aspiration pendant le temps qu'on voit l’étoile, avant que l’étoile disparaisse, on a la réalisation dans l’année. Et alors juste, j'ouvre, et une étoile filante – j'étais toute dans mon aspiration: «l’union avec le Divin intérieur.» Et avant que le mois de décembre de l’année soit passé, j'ai eu l’expérience. Seulement j'étais toute concentrée sur ça. J'étais à Paris, je ne m'occupais de rien; quand je marchais dans la rue, je ne pensais qu'à ça. Et un jour, comme je traversais le Boulevard Saint-Michel, j'ai failli me faire écraser (je t'ai raconté cela), c'était à cause de ça, parce que je ne pensais qu'à ça: cette concentration-concentration, comme si on était assis devant une porte fermée, et ça faisait mal! (Mère fait un geste poignant à la poitrine) mal physiquement, de la pression. Et puis tout d'un coup, sans raison apparente – je n'étais ni plus concentrée ni plus ceci ni moins cela – pouff! ça s'ouvre. Et alors on... Ce n'était pas pendant des heures, c'était pendant des mois, mon petit! ça ne me quittait pas, cette lumière, cet éblouisse-ment, cette lumière et cette immensité. Et le sens que c'est ÇA qui veut, ÇA qui sait, ÇA qui dirige toute la vie, ÇA qui guide tout – ça ne m'a jamais quittée. Pas une minute depuis ce moment-là. Et toujours, quand j'avais une décision à prendre, je m'arrêtais une seconde et c'était de là que je recevais. Mais il y a longtemps! J'ai fait beaucoup de choses entre-temps. Il y a longtemps, c'était en 1912. Et maintenant, oh! vieille carcasse... Elle fait de son mieux. La plus complète expression, je crois, c'est: «Ce que Tu veux Seigneur, ce que Tu veux Seigneur, ce que Tu veux Seigneur, avec joie, quoi que ce soit» – chaque cellule. Ça devrait aller relativement vite, mais... je ne sais pas. Combien de temps ça prendra?... C'est nouveau. C'est nouveau, c'est-à-dire que, tu comprends, on ne sait pas comment c'est quand on progresse! On ne sait pas où l’on va ni d'aucune façon quel chemin on suit. Alors on ne sait pas! Il y a toutes sortes de choses qui se passent, mais est-ce que c'est dans le chemin ou est-ce que ce n'est pas le chemin? Je n'en sais rien. C'est seulement au bout qu'on saura. Bien. Alors, au revoir, mon petit, une bonne année. J'espère que tu auras une expérience décisive dans l’année, avant les quarante. Voilà.
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