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05.04.2017, 18:57 | |
1961.04.15
alors ils vous disent ça avec de belles descriptions, et puis on sent qu’on est si loin, si loin, si loin... Voilà. Après cela, pendant des heures, je suis concentrée à prier – «prier», pas prier exactement, mais... (geste mains ouvertes, tournées vers le haut), comme ça, demander. Maintenant, ce qui est fait, c’est que je suis absolument détachée de TOUT. De tout, de tout, de tout. A commencer par mon corps et y compris le travail, les idées, les conceptions, même les... tout-touttout; ça me paraît absolument... terne et non existant. Avant, j’avais des joies dans une belle idée ou une belle expérience – tout cela, fini. Je suis dans un état où rien, rien, rien absolument rien n’a de valeur qu’UNE SEULE CHOSE. (silence) Je pourrais dire une chose formidable... (Mère s’apprête à parler, puis se retient.) Et ce n’est pas vrai, ce n’est pas comme cela. Si je le dis, ça devient quelque chose qui n’est pas. Il vaut mieux ne rien dire. Ce n’est pas pour te décourager. Oh! tu sais, il n’y a rien d’encourageant non plus. Non. C’est évidemment indispensable. J’ai l’impression que je n’ai jamais été aussi bas que je suis maintenant. Bas? Non, tu n’es pas bas – je te vois aussi. Tu es parmi les choses que je vois – non, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai. Non, tu es beaucoup mieux que tu n’étais (Mère rit)! (silence) Mais tu sais, je crois que ce qui est parti, c’est tout cet enthousiasme illusoire que l’on confond avec... Sri Aurobindo en parle très souvent, et chaque fois que j’ai lu cette phrase de lui, cela m’a fait comme une douche d’eau glacée (Mère rit). Je ne sais plus exactement les termes mais il emploie deux mots: illusory hopes [les espoirs illusoires]... all the human illusory hopes [tous les espoirs humains illusoires]. Ça fait ploc! comme ça. Eh bien, ça, c’est tout à fait parti... Je l’ai retiré volontairement parce que quand je voyais cela, je me disais: oui, on est toujours à se remonter avec des espoirs... (Mère se tourne vers la machine:) Ce n’est pas pas la peine. Ne garde pas tout cela, surtout ne garde pas tout ça. C’est tout à fait inutile, enlève-le. Enfin, c’est une période, c’est tout. * (Au moment de partir) Si je pouvais rester tranquille, comme ça, pendant des heures, sans lettres, sans... oh! sans voir ces gens – ça irait peut-être plus vite?... Je ne sais pas. Pourquoi ne fais-tu pas une coupure pendant quelque temps? Peux pas. Fais une vraie coupure, pendant x temps, et puis... Impossible, je ne peux pas. Même quand j’étais vraiment malade et que je suis montée la première fois, il y a deux ans, je n’ai pas pu. Je ne peux pas le faire. Ce n’est pas possible. Enfin sûrement il y a des choses que tu pourrais limiter? Oui, si je pouvais limiter, ce serait mieux. (long silence) Ah! petit... (Mère reste longtemps absorbée). Le 24, il y aura combien?... Quarante-et-un ans que je suis venue ici. Et je n’ai pas bougé. Et c’est tout à fait curieux, il n’y a pas d’espace entre ça et ça. Je ne sais pas comment expliquer... Je n’ai pas le sentiment du temps, du tout, du tout. Enfin... (long silence) La seule impression dans laquelle je vis, constamment, est celle-ci: quelque chose qui POUSSE contre un monde d’obstacles formidables, avec une certitude que, tout d’un coup, la résistance cédera... et que ce sera l’illumination – non, beaucoup plus que cela! Voilà, c’est tout. Et je ne suis plus que cela (Mère avance son bras, lentement, poing fermé, comme pour montrer toute sa force tendue qui pousse, pousse obstinément). (Mère se lève) Toute la nuit et tout le temps où l’attention n’est pas tirée par une chose ou une autre (et même alors, c’est comme derrière un voile), je ne suis plus qu’une force qui pousse. Je suis devenue cela. (silence) Ne t’en fais pas. Ce n’est pas vrai que tu es moins bien. Oh! j’ai l’impression qu’on est tout le temps en train de trahir – de te trahir. Trahir? Oh!... moi aussi, j’ai l’impression que je me trahis moi-même, alors tu comprends!... Au fond, c’est cela, c’est parce que tu deviens, sans le savoir, conscient du vrai Soi, là (geste), alors on a tout le temps l’impression qu’on trahit. Et ce n’est ni «toi», ni «moi», ni «lui», ni rien – c’est ÇA qu’on trahit. Et tout ce que l’on est, est une trahison de Ça. C’est justement cela. Et on est tout le temps à pousser-pousser-pousser, pour passer au-delà. Ça va bien, ne t’en fais pas. Quand tu es un peu ennuyé, tu n’as qu’à penser: «Oh! Mère est là, et elle fera le travail.» Et n’aie plus mal aux dents! Je n’aime pas que tu aies mal aux dents. (silence) Au revoir, petit. Sois tranquille, sois tranquille. Un mouvement... c’est tout. On est tous en mouvement.
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