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24.11.2017, 19:09 | |
1962.01.12 (1) 1962.01.12 (2)
Mais dis-moi ce que tu voulais dire? En somme, dans ces derniers Aphorismes, Sri Aurobindo essaye bien de nous montrer au'il faut aller au-delà du sens du péché et de la vertu, évidemment. Ça m'a rappelé un passage d'une de tes expériences qui m'avait beaucoup frappé à l’époque: cette expérience où tu es allée dans le monde supramental, tu as vu ce «bateau» qui débarquait au rivage du monde supramental, les gens à qui on faisait passer des épreuves – certains qui étaient rejetés et d'autres qui étaient gardés. Tu as raconté cette expérience et il y a un passage qui m'a frappé et qui a un rapport avec ces Aphorismes... Est-ce que je peux te lire ce que tu as dit?5 Oui, je ne me souviens plus. Après avoir décrit ce bateau et le débarquement, tu dis: «Le point de vue, le jugement [pour passer les épreuves] était basé exclusivement d'après la substance qui constituait les gens, c'est-à-dire s'ils appartenaient complètement au monde supramental, s'ils étaient faits de cette substance si particulière. Le point de vue adopté n'est ni moral ni psychologique. Il est probable que la substance dont leur corps était fait était le résultat d'une loi intérieure ou d'un mouvement intérieur qui, à ce moment-là, n'était pas en question. Du moins, il est tout à fait clair que les valeurs sont différentes...» Tu ajoutes encore: «J'avais alors l’impression (une impression qui est restée pendant assez longtemps) d'une certaine relativité – pas exactement: l’impression que la relation entre ce monde-ci et l’autre changeait complètement le point de vue d'après lequel les choses doivent être évaluées ou appréciées...» Oui, oui! «Ce point de vue n'avait rien de mental et il donnait un sentiment intérieur, étrange, que quantité de choses que nous considérons comme bonnes ou mauvaises ne le sont pas réellement. Il était clair que tout dépendait de la CAPACITÉ des choses, de leur APTITUDE à traduire le monde supramental ou à être en relation avec lui. C'était si complètement différent, parfois même si contraire à notre appréciation ordinaire!» Oui. Tu continues encore: «Chez les gens aussi, j'ai vu que ce qui les aide à devenir supramental ou les en empêche est très différent de ce qu'imaginent nos notions morales habituelles.» Oui-oui. Oui. Alors j'avais envie de te demander: si ce ne sont pas des notions morales, quelle est la capacité ou la qualité qui nous aide à marcher vers le Supramental? Quel est ce point de vue tout différent? Ce sont justement toutes les choses que j'ai regardées et étudiées ces jours-ci
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Il y a un endroit où j'ai parlé un peu de ça: tu te souviens de ce monsieur de Madras qui avait posé une question’?... Là, il y avait une indication. Parce que j'ai suivi le fil, je me suis remise en contact avec l’expérience – l’expérience du bateau supramental – et je me suis aperçue que ça avait eu une action DÉCISIVE dans la position; cette expérience avait établi d'une façon absolument claire, précise, définitive, les conditions requises. À ce point de vue, c'était intéressant. Une fois pour toutes, ça a balayé toutes les notions non seulement de la moralité ordinaire mais tout ce que l’on considère ici, dans l’Inde, comme nécessaire à la vie spirituelle. À ce point de vue, c'était très instructif. Et d'abord, cette espèce de soi-disant pureté ascétique. La pureté ascétique, c'est tout simplement le rejet de tous les mouvements du vital – au lieu de prendre ces mouvements et de les tourner vers le Divin, c'est-à-dire de voir en eux la Présence suprême (et justement de laisser le Suprême y agir librement), on Lui dit (riant): «Non, ça ne Te regarde pas! Tu n'as pas le droit d'entrer là-dedans.» Le physique, c'est une vieille affaire, on le sait – depuis toujours les ascètes l’ont rejeté; mais on y ajoutait le vital. Et tous ici sont comme cela, même... (maintenant peut-être que X change un peu, mais au début il était comme cela aussi). Il n'y avait que les choses classiquement reconnues comme sacrées ou admises par la tradition religieuse, comme par exemple la sainteté du mariage et les choses de ce genre, que l’on acceptait, mais la vie libre, holà! c'était incompatible avec toute vie religieuse. Alors tout ça a été complètement balayé, une fois pour toutes. Ce n'est pas pour dire que ce qui est demandé est plus facile! C'est probablement beaucoup plus difficile. D'abord, au point de vue psychologique, il faut la condition dont j'ai parlé dans ma réponse à cet homme [histoire du cerf]: c'est l’égalité parfaite. Ça, c'est une condition AB-SO-LUE. J'ai observé depuis ce moment-là, pendant des années, qu'aucune vibration supramentale ne se transmet, excepté dans cette égalité parfaite. S'il y a la moindre contradiction de cette égalité (en fait, le moindre mouvement d'ego, de la préférence de l’ego), ça ne passe pas, ça ne se transmet pas. Ce qui fait déjà une assez grosse difficulté. En plus de cela, il y a deux conditions qui, pour que la réalisation puisse être totale, ne sont pas faciles. Parce que ce sont des choses qui ne sont pas très difficiles au point de vue intellectuel (je ne parle pas ici de n'importe qui: je parle de ceux qui ont fait un yoga et qui ont suivi une discipline), c'est relativement facile; au point de vue psychologique aussi, si on y associe cette égalité, ce n'est pas très difficile. Mais dès qu'on arrive au plan matériel, c'est-à-dire physique, puis corporel, ce n'est pas facile. Les deux conditions sont celles-ci: d'abord, un pouvoir d'expansion, d'élargissement pour ainsi dire indéfini, de sorte que l’on puisse s'élargir à la dimension de la conscience supramentale, qui est totale. La conscience supramentale, c'est celle du Suprême dans sa totalité – «sa totalité», je veux dire le Suprême dans son aspect de Manifestation. Naturellement, au point de vue supérieur de l’essence (l’essence de ce qui devient le Supramental dans la Manifestation), il faut une capacité d'identification totale avec le Suprême non seulement sous son aspect de Manifestation mais sous son aspect statique ou nirvanique, en dehors de la Manifestation: le Non-être. Mais en plus de cela, il faut être capable de s'identifier au Suprême dans le Devenir. Et ça, ça implique ces deux choses: un élargissement au moins indéfini, qui doit être en même temps une plasticité totale afin de pouvoir suivre le Suprême dans son Devenir – ce n'est pas «à un moment donné» qu'il faut être aussi vaste que l’univers, c'est indéfiniment dans le Devenir. Ce sont les deux conditions. Il faut qu'elles soient là, potentielles. Jusqu'au vital, c'est encore dans le domaine des choses plus que faisables – faites. Au point de vue matériel, ça conduit à mes mésaventures de l’autre jour. Et même en acceptant a priori toutes ces mésaventures, c'est difficile, parce qu'il y a un double mouvement: une transformation cellulaire, et en même temps une capacité de «quelque chose» qui pourrait remplacer l’accroissement par un déplacement ou une réorganisation intercellulaire constante. Naturellement, nos corps tels qu'ils sont, c'est quelque chose de fixe, de lourd – enfin, c'est innommable tel que c'est, autrement on ne vieillirait pas. N'est-ce pas, mon être vital est plus plein d'énergie, et par conséquent de jeunesse, de pouvoir de croissance, que quand j'avais vingt ans. Il n'y a pas de comparaison. Le pouvoir est INFINIMENT supérieur – et le corps s'en va en morceaux, enfin c'est une espèce de chose innommable. Par conséquent, c'est cet ajustement entre l’être vital et l’être matériel qui est à trouver. Non pas que le problème n'ait pas été partiellement résolu, parce que les hathayogis l’ont résolu, partiellement – à condition de ne s'occuper que de ça (c'est ça, la difficulté). Mais enfin il faudrait avoir le pouvoir, ayant la connaissance, de faire le nécessaire sans que ce soit une occupation exclusive. Mais il est évident que ce n'est pas un domaine tout à fait inconnu parce que quand je me suis retirée, pendant les premiers mois où j'avais cessé tout rapport avec l’extérieur, ça marchait très bien – oh! extraordinairement. J'avais des quantités de troubles dans mon corps, qui ont été surmontés, et il y avait beaucoup d'indications assez précises que si je continuais assez longtemps, je rattraperais tout ce qui avait été perdu, avec amélioration d'équilibre. C'est-à-dire que l’équilibre du fonctionnement était très supérieur. Ça ne s'est arrêté et ne s'est détérioré que de la minute où je suis rentrée en contact avec le monde – d'autant plus que c'était aggravé par cette discipline d'élargissement qui fait que CONSTAMMENT, constamment j'absorbe des montagnes de difficultés à résoudre. Et alors... Au point de vue mental, c'est assez facile – en cinq minutes on peut remettre les choses en ordre, ce n'est pas difficile. Au point de vue vital, c'est déjà un peu plus ennuyeux, ça prend un peu plus de temps. Mais alors, au point de vue matériel, ça... C'est cette CONTAGION du mauvais fonctionnement cellulaire et cette sorte de désorganisation intérieure des choses qui ne restent pas à la place qu'il faut: chaque absorption du dehors crée instantanément un désordre, déplace tout et fait des rapports faux, disloque l’organisation, et il faut quelquefois DES HEURES pour remettre ça en place. Ce qui fait que si je voulais vraiment utiliser la possibilité du corps sans me trouver en face de la nécessité d'en changer parce qu'il ne peut pas suivre, il faudrait vraiment que, matériellement, autant que possible, je cesse d'ingurgiter toutes sortes de choses qui me tirent d'années en arrière. C'est difficile, difficile. Tant qu'il n'est pas question de transformation physique, le point de vue psychologique et (en grande partie) subjectif est suffisant. Ça, c'est relativement facile. Mais quand il s'agit d'incorporer dans le travail la Matière telle qu'elle est dans ce monde où le point de départ lui-même est faux (nous partons de l’Inconscience et de l’Ignorance), ça, c'est très difficile. Parce que, justement, cette Matière, afin d'arriver à l’individualisation nécessaire pour retrouver la Conscience perdue, elle a été faite avec une certaine fixité indispensable pour faire durer la forme et pour garder, précisément, cette possibilité d'individualité. Et c'est ça, le principal obstacle à cet élargissement et à cette plasticité, à cette souplesse nécessaire pour être capable de recevoir le Supramental. Je me trouve constamment devant ce problème, qui est un problème tout à fait concret, absolument matériel, quand on a affaire à ces cellules et qu'il faut qu'elles restent des cellules, qu'elles ne se vaporisent pas dans une réalité qui n'est plus physique, et en même temps qu'elles aient cette souplesse, ce manque de fixité qui fait qu'elles peuvent s'élargir indéfiniment. Il m'est arrivé, quand je faisais le travail dans le mental le plus matériel (le mental qui est incorporé dans la substance) d'avoir l’impression d'un cerveau qui gonfle-gonfle-gonfle, comme ça, et d'une tête qui va éclater tellement elle est grosse! Il m'est arrivé, deux fois, d'être obligée d'arrêter, parce que c'était (est-ce que c'était seulement une impression, ou est-ce que c'était un fait?) mais ça paraissait dangereux, comme si la tête allait éclater, parce que le dedans devenait trop formidable (c'était ce pouvoir dans la Matière, cette lumière bleu foncé tellement puissante, qui a des vibrations tellement puissantes, qui est capable de guérir, par exemple, qui est capable de changer le fonctionnement des organes – c'est vraiment une chose très puissante matériellement). Eh bien, c'était ça qui remplissait ma tête de plus en plus, de plus en plus, et j'avais l’impression que le crâne était – c'était douloureux n'est-ce pas –, que le crâne était soumis à une tension du dedans au dehors qui poussait-poussait tout ça... Je me demandais ce qui allait arriver. Alors, au lieu de suivre le mouvement, de l’aider et de l’accompagner, je devenais immobile, passive, pour voir ce qui arriverait, et dans les deux cas ça s'est arrêté; je n'aidais plus le mouvement, n'est-ce pas, je restais tout simplement passive, et ça s'est arrêté, il y a eu une sorte de stabilisation. (silence) Mais Sri Aurobindo a dû avoir l’expérience [de cet élargissement cellulaire], parce qu'il a été tout à fait positif, il a dit que ça POUVAIT se faire. Naturellement, il s'agit de la supramentalisation DE LA MATIÈRE – la conscience, ce n'est rien. La plupart des gens qui ont eu cette expérience, c'était dans le mental – ça, c'est relativement très facile. Très facile: suppression des limites de l’ego, élargissement indéfini, et le mouvement qui suit le rythme du Devenir. Tout ça, mentalement, c'est très facile. Vitalement... Au bout de quelques mois quand je me suis retirée, j'ai eu l’expérience au point de vue vital – c'était magnifique, merveilleux! Là, naturellement, pour pouvoir avoir l’expérience, il faut que le mental soit changé, il faut être en pleine communion, et tout-tout vital individuel pas préparé par ce qu'on pourrait appeler une base mentale suffisante serait pris de panique – tous ces pauvres gens qui ont peur pour n'importe quelle petite expérience, il ne faut pas qu'ils y touchent, ce serait pour eux quelque chose d'affolant! Mais il se trouve, par la Grâce divine si l’on peut dire, que ce vital actuel, de cette présente incarnation, est né libre et victorieux. Il n'a jamais eu peur de rien dans le monde vital; les expériences les plus fantastiques étaient presque comme des jeux d'enfants. Mais alors là, quand j'ai eu l’expérience, c'était vraiment intéressant, au point que j'ai eu pendant quelques semaines la tentation de rester là, c'était... Je t'avais dit, une fois, un petit bout d'expérience (il y a longtemps, il y a au moins deux ans), je t'ai dit que même dans la journée, c'était comme si j'étais assise sur la Terre – c'était cette réalisation dans le monde vital. Mais alors ça me faisait des nuits fantastiques! que je n'ai jamais pu décrire à personne, je n'en ai pas parlé, mais j'attendais la nuit comme on attend une chose merveilleuse. J'y ai renoncé volontairement, pour aller plus loin. Et c'est même quand j'ai fait ça que j'ai compris ce qu'ils veulent dire ici quand ils disent: he surrendered his experience [il a fait le sacrifice de son expérience]. Je n'avais jamais très bien compris en quoi ça consistait. Quand je l’ai fait, j'ai compris. J'ai dit: «Non, je ne veux pas m'arrêter là; je Te donne tout pour aller jusqu'au bout.» Alors j'ai compris ce que ça voulait dire. Si j'avais gardé ça, oh!... je serais devenue un de ces phénomènes mondiaux! qui bouleversent l’histoire de la Terre. Un pouvoir formidable! Formidable, insensé. Seulement, c'était s'arrêter là. C'était accepter ça comme point final – j'ai continué.
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Les gens qui étaient dans ce bateau, ce qu'ils avaient, c'étaient ces deux capacités-là: 1) Capacité d'élargissement indéfini de la conscience sur tous les plans, y compris le matériel. 2) Plasticité illimitée pour pouvoir suivre le mouvement du Devenir. La chose se passait dans le physique subtil. Et les gens qui avaient des taches et qu'on était obligé de reprendre étaient toujours ceux qui manquaient de la plasticité nécessaire pour les deux mouvements. Mais il s'agissait surtout du mouvement d'élargissement plus que du mouvement de progression pour suivre le Devenir – ça, ça paraissait être une préoccupation ultérieure, pour ceux qui étaient débarqués, après le débarquement. Mais la préparation sur le bateau, c'était cette capacité d'élargissement. Il y avait une chose aussi dont je n'ai pas parlé quand je t'ai raconté l’expérience: le bateau n'avait pas de machines. Tout, tout était mis en mouvement par la volonté: les individus et les choses (le costume même des gens était un effet de leur volonté). Et ça donnait à toutes les choses et aux formes des individus une grande souplesse, parce qu'on était conscient de cette volonté – qui n'est pas une volonté mentale, qui est une volonté du Soi, ou une volonté spirituelle pourrait-on dire, une volonté de l’âme (si on donne au mot âme ce sens-là). C'est une expérience que j'ai faite ici quand on agit avec une spontanéité absolue, c'est-à-dire quand l’action (comme la parole et le mouvement) n'est pas déterminée par le mental, même pas (je ne parle pas de la pensée et de l’intellect) mais même pas par le mental qui nous fait mouvoir généralement. Généralement, nous percevons en nous la volonté de faire une chose au moment où nous la faisons; quand on s'observe, on voit ça: il y a toujours (ce peut être très prompt) la volonté de faire; quand on est conscient et qu'on se regarde faire, on voit qu'on a la volonté de faire – c'est l’intervention du mental, l’intervention habituelle, l’ordre dans lequel les choses se passent. Tandis que l’action supra-mentale est décidée en sautant par-dessus le mental; passer par lui n'est pas nécessaire: c'est direct. Quelque chose entre en contact direct avec les centres vitaux et les fait agir sans passer par la pensée – mais en toute conscience. La conscience ne fonctionne pas dans l’ordre habituel, elle fonctionne directement du centre de volonté spirituelle à la Matière. Et tant qu'on peut garder cette immobilité absolue du mental, l’inspiration est absolument pure – elle vient pure. Quand on peut attraper ça et le garder en parlant, ce qui vient aussi n'est pas mélangé, ça reste pur. C'est un fonctionnement extrêmement délicat, probablement parce qu'il n'est pas accoutumé – un tout petit mouvement, une toute petite vibration mentale dérange tout. Mais tant que ça dure, c'est parfaitement pur. Et c'est ça qui doit être l’état CONSTANT d'une vie supramentalisée. La volonté mentalisée ne doit plus intervenir – parce qu'on peut très bien avoir une volonté spirituelle, on peut vivre constamment en exprimant la volonté spirituelle (tous ceux qui sentent qu'ils sont dirigés par le Divin en eux, c'est ce qui leur arrive), mais ça passe par une transcription mentale. Eh bien, tant que c'est ça, ce n'est pas la vie supramentale. La vie supramentale ne passe PLUS par le mental. Le mental est une zone immobile de transmission. Un tout petit déclic suffit à déranger. (silence) On peut donc dire que l’état constant, nécessaire, pour que le Supramental puisse s'exprimer à travers une conscience terrestre, c'est cette égalité parfaite qui provient de l’identification spirituelle avec le Suprême: tout devient le Suprême dans une égalité parfaite. Et automatique: pas une égalité qu'on obtient par la volonté consciente, par l’effort intellectuel, par une compréhension qui précède l’état – ce n'est pas ça. Il faut que ce soit spontané et automatique, que la façon de répondre à tout ce qui vient du dehors ne soit plus comme si on répondait à quelque chose qui vient du dehors. Il faut que cette espèce de réception et de réponse soient remplacées par un état de perception constant et (je ne peux pas dire identique parce que chaque chose appelle nécessairement sa réponse spéciale), mais on pourrait presque dire libre de tout rebondissement. C'est la différence qu'il y a entre quelque chose qui vient du dehors et qui vous frappe, et à quoi vous répondez, et quelque chose qui circule et qui tout naturellement entraîne les vibrations nécessaires à l’action générale – je ne sais pas si je me fais comprendre... C'est la différence entre un mouvement vibratoire qui circule dans un champ d'action IDENTIQUE, et un mouvement qui vient de quelque chose en dehors et qui touche du dehors, et qui obtient une réponse (ça, c'est l’état habituel de la conscience humaine). Tandis que quand la conscience est identifiée au Suprême, les mouvements sont pour ainsi dire intérieurs, en ce sens qu'il n'y a rien qui vienne du dehors: ce sont seulement des choses qui circulent et qui, naturellement, dans leur circulation, entraînent par similitude et par nécessité, ou changent les vibrations dans le milieu circulatoire. C'est une chose qui m'est très familière parce que c'est mon état actuel constant – je n'ai jamais l’impression de quelque chose qui vient du dehors et qui me cogne, mais j'ai l’impression de mouvements intérieurs, multiples, quelquefois contradictoires, et d'une circulation constante entraînant les changements intérieurs nécessaires au mouvement. Ça, c'est la base indispensable. C'est une expérience qui est là depuis très longtemps et qui est maintenant tout à fait établie. Dans le temps, elle était momentanée, maintenant elle est constante. C'est la base indispensable. Et là-dedans, l’élargissement suit presque automatiquement, avec des nécessités d'ajustement dans le corps lui-même, qui sont difficiles à résoudre. C'est un problème dans lequel je suis encore complètement plongée. Et puis cette espèce de souplesse... C'est une capacité de se décristalliser – toute, toute la période de la vie qui consiste à s'individualiser est une période de cristallisation consciente et volontaire qui, après, doit être défaite. Pour devenir un être conscient et individuel, c'est une cristallisation constante-constante, et volontaire, de toutes choses; et après, il faut faire le mouvement contraire, constamment, et aussi, encore plus, volontairement. Et en même temps, il ne faut pas perdre le bénéfice, dans la conscience, de ce qui a été acquis par l’individualisation. Il faut dire que c'est difficile. Au point de vue de la pensée, c'est élémentaire, c'est très facile. Même au point de vue des sentiments, ce n'est pas difficile: que le cœur, c'est-à-dire l’être affectif, s'élargisse à la dimension du Suprême, c'est relativement facile. Mais ce corps! C'est très difficile – très difficile sans qu'il perde son centre (comment dire?) de coagulation, qu'il ne se dissolve pas dans la masse environnante. Et encore, si on était dans un lieu de la Nature avec des montagnes, des forêts, des rivières, et puis beaucoup d'espace et beaucoup de beauté naturelle, ce serait plutôt agréable! Mais on ne peut pas faire un pas matériellement, hors de son corps, sans rencontrer des choses pénibles – il arrive quelquefois qu'on soit en contact avec une substance qui est plaisante, qui est harmonieuse, chaleureuse, qui vibre d'une lumière supérieure. Mais c'est rare. Oui, les fleurs, quelquefois les fleurs – quelquefois, pas toujours. Mais ce monde matériel, oh!... on est cogné par tout – griffé; griffé, écorché, cogné par toutes sortes de choses qui ne s'épanouissent pas, oh! comme c'est difficile! comme la vie humaine n'est pas épanouie! recroquevillée, durcie, sans lumière, sans chaleur, et je ne parle pas de joie. Tandis que, quelquefois, quand on voit de l’eau qui coule, ou un rayon de soleil dans les arbres, oh! ça chante – des cellules qui chantent, qui sont contentes.
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Si nous allons sur ce chemin-là, évidemment on pourra faire des choses qui valent la peine, parce que c'est nouveau. C'est tout à fait nouveau, je n'ai jamais parlé de ça avec Sri Aurobindo, parce que je n'avais pas ces expériences-là à ce moment-là; j'avais toutes les expériences psychologiques à partir du mental, même le plus matériel, du vital ou de la conscience physique: la CONSCIENCEphysique, mais pas le corps. Ça, c'est nouveau, c'est depuis trois ou quatre ans. Tout le reste est facile. Tout le reste jusque là, c'est arrangé – arrangé très bien. On serait tenté évidemment de penser que si la difficulté de la transformation physique est si grande, est-ce qu'il n'y aurait pas avantage à «matérialiser» quelque chose, à agir occultement? À créer un corps nouveau par des procédés occultes? C'était ça, l’idée: il faudrait d'abord que des êtres soient arrivés jusqu'à une certaine réalisation ici, dans le monde physique, qui leur donnerait le pouvoir de matérialiser un être supramental. Je t'ai raconté que j'avais revêtu d'un corps un être du vital – mais je n'aurais pu, il aurait été impossible de rendre ce corps matériel: il manque quelque chose. Il manque quelque chose. Même si on le rendait visible, probablement on ne pourrait pas le garder permanent: à la moindre occasion il se dématérialiserait. C'est cette permanence qu'on ne peut pas obtenir. C'est une chose dont nous avons discuté avec Sri Aurobindo («discuter» est une façon de parler), nous en avons parlé avec Sri Aurobindo, et il voyait la chose comme moi, c'est-à-dire qu'il y a un pouvoir, oui, de FIXER la forme, là, sur la Terre, que l’on n'a pas. Même ceux qui ont des capacités de matérialisation, comme l’avait Mme Théon, par exemple, ça ne reste pas – ça ne peut pas, ça ne peut pas rester, ça n'a pas la vertu des choses physiques. Et alors on ne pourrait pas assurer la continuité de la création sans quelque chose qui possède ça. Oui, on pourrait dire cela, parce que c'est intéressant. On pourrait se poser la question. Tout le processus occulte, je le connaissais en détail, mais je n'aurais jamais pu le rendre plus matériel, même si j'avais essayé – visible, oui, mais impermanent, pas capable de progression. Et note que (c'est une chose tout à fait personnelle) je ne crois pas avoir perdu du temps, parce que, n'est-ce pas, on pourrait dire que si ce que je sais maintenant était arrivé, par exemple, quarante ans plus tôt – à quarante ans au lieu de quatre-vingt –, alors on a l’impression qu'on a du temps. Mais je n'ai pas perdu de temps. Je n'ai pas perdu de temps, il a fallu tout ce temps pour en arriver où j'en suis. Je ne crois pas que je sois allée lentement – j'ai eu les conditions les plus merveilleuses, comme je te l’ai dit la dernière fois, ces trente ans avec Sri Aurobindo, les plus merveilleuses conditions qu'on pouvait avoir. Je n'ai pas perdu mon temps, oh! c'était heure par heure. C'est un long travail. Lui, disait qu'il fallait au moins trois cents ans, alors il n'y a pas de temps perdu. Il faut déjà donner au corps quelque chose qui lui permette de durer trois cents ans.
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